Une communication qui n'en est pas à son premier changement

Depuis qu'Emmanuel Macron est installé dans le spectre politique, sa communication a connu de multiples évolutions. Ces changements, souvent soudains, ont parfois contribué à rendre moins lisible ce personnage politique déjà complexe.

Fin 2016, la plupart des français le connaissent comme le jeune ministre de l'économie, alors démissionnaire, comme conquérant, symbole d'une France moderne et entreprenante qui croit aux start-ups et aux ressources de sa jeunesse. Puis, au lendemain de son élection, tout bascule. Une traversée de la cour du Louvre plus tard, Emmanuel Macron se mue en un Président jupitérien, adepte de la parole rare, verticale et maitrisée suivant de près les thèses du théoricien de la communication politique Jacques Philan. Sans doute fut-ce un passage obligé pour assoir la crédibilité de ce président élu alors même pas quarantenaire, bien décidé à rompre avec la présidence bavarde de François Hollande. L'épisode des Gilets Jaunes, puis celui du Grand Débat National, l'obligent à changer de stratégie pour une communication plus aléatoire. La crise sanitaire engendrée par le covid acte durablement ce changement, mettant en scène un Président de la République comme un pragmatique gestionnaire de crise, mobilisé sur tous les sujets.

Enfin, désormais, la sortie de crise sanitaire, la reprise de l'économie et l'approche, dans quelques mois, de l'élection présidentielle incitent le Président de la République à renouer avec une image plus moderne et dynamique. Cette nouvelle facette de sa communication entend mettre en scène l'ambition réformatrice de celui qui s'est fait élire sur une proposition de disruption et rassurer cet électorat qui avait contribué à sa victoire en 2017.

Une communication présidentielle qui s'inspire des codes du marketing d'Apple

Dans cette perspective, la communication présidentielle reprend désormais de plus en plus d'éléments du marketing d'Apple, dont la communication simple, innovante et ponctuelle fait en partie le succès de ses produits.

Les contenus partagés ces dernières semaines sur les réseaux sociaux du Président de la République tendent à s'inspirer de ces mêmes codes à succès.

Utilisation de vidéos courtes et rythmées

En septembre 2016, voulant résumer l'évènement de lancement de ses nouveaux produits, Apple avait lancé un nouveau format vidéo : une vidéo courte, deux minutes, composée exclusivement de texte et de brèves images, sur une musique rythmée, entrecoupées de courtes interventions sonores. Le format, incroyablement simple mais profondément innovant, avait conquis l'industrie, et ce modèle s'est depuis diffusé, a été multiplement copié, n'atteignant cependant pas la fluidité du format d'Apple.

Le 17 Septembre 2021, voulant célébrer le chiffre de 50 millions de français primo-vaccinés contre le Covid-19 depuis le début de la campagne vaccinale, Emmanuel Macron a publié sur ses réseaux sociaux une vidéo similaire. Un format court, cinquante secondes, une musique rythmée, mettant en scène un chiffre en gros plan (le nombre de vaccinés), qui évolue au fil des images, au fil des interventions de membres du Gouvernement ou du Président lui-même. Le tout s'arrêtant sur le chiffre 50. Ce format, simple et rythmé, permet, en moins d'une minute, de résumer les différentes étapes de la campagne vaccinale et sa synchronisation avec les efforts de l'exécutif. De la première dose du vaccin administrée à la célèbre Mauricette jusqu'au chiffre des 50 millions de vaccinés, les images défilent, voulant illustrer ce que le Président compte revendiquer comme un succès.

L'art du teasing

Bien que l'une des marques les plus puissantes au monde, Apple ne publie que très peu de posts sur les réseaux sociaux. Lors des présentations de ses nouveaux produits, la marque se contente de diffuser une notification aux abonnés de sa newsletter, y joignant un visuel, une date et quelques mots. Pour sa keynote de début septembre, Apple avait écrit à ses abonnés :

"Rejoignez-nous pour un évènement spécial Apple. Le 14 Septembre à 19h."

En somme, la marque se contente d'indiquer qu'elle va faire une annonce importante, et en dévoilant le moins de détails possibles, souhaite intriguer son audience, susciter de l'intérêt autour de cette annonce mystérieuse. A cela s'ajoute le fait que l'annonce de cet évènement est unique : aucun rappel ne sera communiqué à la communauté de la marque.

Emmanuel Macron a repris la même logique pour l'annonce de son plan France 2030, censé penser la France à l'horizon 2030 et relever les défis mis en lumière par la crise sanitaire : innovation, recherche, industrie, compétitivité, ...  Pour annoncer cette prise de parole, l'Elysée a tweeté :

"Pour répondre aux grands défis de notre temps, le Président Emmanuel Macron présente ce matin le plan #France2030. A suivre en direct dès 10h."

On ne peut faire plus simple. L'annonce, à la façon d'Apple, est accompagnée d'un visuel moderne, coloré, reprenant le dégradé, très à la mode dans la communication ces derniers temps. Les couleurs employées et le design de ce visuel semblent d'ailleurs symboliser une lumière émergeant d'un horizon lointain, comme si le futur dessiné par Emmanuel Macron lors de cet évènement se dessinait à l'horizon.

La keynote plutôt qu'un discours

C'était la grande marque de fabrique de Steve Jobs. Les discours, ennuyeux, longs et linéaires, endorment le public. Steve Jobs pensait conquérir les utilisateurs en leur vendant du rêve. Pour cela, ce qui relevait jusqu'alors d'une simple présentation de produit devait ressembler à un spectacle. Ces conférences, qu'Apple désigne désormais comme keynotes, étaient si attendues que la salle acclamait le fondateur d'Apple, tel une rock star, avant son entrée en scène.

Emmanuel Macron, qui prétend penser le futur du pays autour de cet évènement France 2030, se devait donc lui aussi de rompre avec les codes habituels de l'annonce politique. Pas question, pour l'équipe présidentielle, de mettre en scène ces annonces au travers d'un banal discours. Exit le pupitre et micros fixes, place à une simple table pour quelques notes et un Président debout, marchant sur la scène, équipé d'un micro-cravate. La présentation du plan d'investissements de 30 milliards s'est donc tenue dans un format inédit, autour d'une scène rectangulaire, dans la salle des fêtes de l'Elysée, autour de laquelle étaient disposés deux gradins d'un public composé d'étudiants, de chercheurs, de chefs d'entreprises, ... Tout autour d'eux, et en particulier derrière Emmanuel Macron, d'immenses écrans LEDs diffusaient un fond estampillé France 2030.

Ces derniers, dont tous les traits dirigeaient les regards vers le Président de la République, évoluaient au fil des thématiques évoquées en diffusant des titres correspondant à son propos. Comme évoluent ceux d'Apple lors du détail de l'explication des produits.

L'art d'un discours simplifié

Puisque, visuellement, ces annonces ne reprennent pas les codes d'un discours classique, les mots doivent, eux aussi, être adaptés.

Loin de perdre en qualité dans le contenu, le type de discours utilisé lors de ces évènements est plus simple, plus facilement compréhensible mais aussi plus facilement retenu.

Après avoir longuement détaillé les caractéristiques d'un nouveau produit, développé les détails techniques de ce dernier et fait la démonstration de ses fonctionnalités, Steve Jobs avait pour habitude de résumer les points qu'il venait d'évoquer de façon simplifiée, au travers d'une énumération.

A son tour, Emmanuel Macron a procédé à un résumé de son intervention, longue de près d'1h40, en dix points. L'objectif : appuyer une fois de plus le message central de son propos, et décliner en quelques secondes la pensée globale de son intervention, qui pourra être reprise telle quelle par les médias.

Cette comparaison met en évidence des ressemblances, entre le marketing d'une des plus grandes entreprises au monde et la communication politique en quête d'un nouvel an d'un jeune Président de la République bientôt à nouveau candidat. L'utilisation de ces codes par les équipes d'Emmanuel Macron vise à renouer avec cet électorat progressiste, sensible à ce marketing moderne, dont certains des codes avaient déjà contribué à sa victoire en 2017.