C’est le sujet épineux dont le Gouvernement n’a eu de cesse de repousser l’échéance, mais ça y est, la réforme des retraites est là et la mobilisation contre de le projet de loi l’est aussi, bien plus importante qu’attendue.

Alors que le vote du texte en séance plénière s’annonce serré, l’examen du projet de loi va permettre de mettre en lumière de multiples enjeux politiques.

Pour les chefs de partis, quasiment tous renouvelés, cette réforme est un peu la première mise à l’épreuve de leur légitimité, le Gouvernement, lui, joue sa survie, et Emmanuel Macron sa crédibilité. Un texte décisif qui risque donc de faire tanguer.

La semaine qui s’achève fut décisive pour le Gouvernement, confronté à une mobilisation sociale renforcée et des partenaires politiques qui prennent progressivement leurs distances.

L’article de Mediapart, qui accuse, le ministre du Travail, Olivier DUSSOPT de favoritisme lors de ses précédentes fonctions locales, ne devrait pas aider le processus.

Il faut dire que déjà, plus tôt dans la semaine, la situation était tendue au sein de la majorité. Renaissance, qui compte 245 sièges à l'Assemblée nationale, si l’on prend en compte les élus du Modem, d’Horizons et les élus apparentés, est dans cette situation de majorité relative, très loin du compte des 289 voix nécessaires à l’adoption du texte.

Pour ne pas arranger les choses, France Inter et le Monde, révélaient cette semaine que plusieurs membres de la majorité refusent en l’état de voter le texte, ou s’abstiendront lors du vote. Lundi, c’est France Inter qui faisait état d’une douzaine de frondeurs au sein de Renaissance. Pire, alors que d’autres hésitent encore, certains ont déjà confirmé aux journalistes qu’ils voteraient contre : à priori 2 au sein du parti présidentiel, un au Modem et 4 chez Horizons, le parti d’Edouard Philippe. Ces voix manquantes, pourraient s’avérer critiques pour le Gouvernement, qui dispose de peu de marges de manoeuvre. Pour l’heure, les députés hésitants, dont l’identité n’a bien évidemment pas été dévoilée, attendent de voir comment évoluera le texte au gré des amendements qui seront retenus. Les débats en séance permettront d’affiner le décompte. Si le Gouvernement consent, comme l’a laissé entendre Elisabeth BORNE ce dimanche dans une interview au JDD, à quelques aménagements sur les carrières longues, la pénibilité et l’égalité hommes-femmes sur la durée de trimestres cotisés, alors, ces derniers pourraient envisager de changer leur vote.

Mais le problème pour Elisabeth BORNE et son Gouvernement, c’est que les ennuis ne se limitent pas seulement à son propre groupe. Si la majorité semble s’engager en ordre dispersé dans l’examen de ce texte, le groupe Les Républicains revet lui aussi une apparence des plus brouillonnes. Le hic ? Les voix du parti de droite, négociées avec Eric CIOTTI depuis décembre, seront essentielles au Gouvernement pour faire passer ce projet de loi. Si la majorité présidentielle et le groupe LR votaient tous en faveur du texte, alors le Gouvernement disposerait d’une confortable avance d’une trentaine de députés. Mais chez LR, la situation s’est elle aussi tendue, et près d’une quinzaine, voire une vingtaine d’entre eux réfléchiraient finalement à voter contre le texte.

Si l’on ajoute à cette petite vingtaine les 12 frondeurs potentiels de la majorité, alors le texte du Gouvernement serait très en danger.

Face à ces incertitudes, plusieurs possibilités, bien que leur portée soit limitée. Côté Gouvernement, Elisabeth BORNE entend rappeler à l’ordre Eric CIOTTI qui avait donné sa parole lors des négociations après que des aménagements portés par LR étaient concédés dans le texte qui sera présenté.  Mais puisque Les Républicains cherchent à être flattés, la majorité devrait adopter en séance plénière de nouveaux aménagements réclamés par la droite, en particulier sur la question des carrières longues et de la pénibilité.

C’est ainsi que s’explique le revirement opéré cette semaine dans la communication du Gouvernement, passée d’une Elisabeth BORNE déclarant cette réforme non-négociable, à un Gabriel ATTAL, ministre des comptes publics, envoyé un terrain miné pour entrouvrir la porte à de nouvelles concessions.

Mais si le vote s’annonce aussi tendu, c’est surtout parce que la réforme des retraites cache de nombreux enjeux politiques.

Pour l’opposition, c’est l’occasion rêvée d’exister non pas pour mais contre un projet. En se déclarant contre la réforme des retraites mais pour les droits des travailleurs, la gauche retrouve ce qui a toujours constitué son essence, bien que ces sujets étaient très largement délaissés ces dernières années. Bien que la NUPES ne présente pas d’alternative parlementaire équivalente, cela permet tout de même aux partis de gauche de se réaproprier la valeur travail, monopole des partisans d’Emmanuel Macron depuis 2017.

Mais au-delà de la gauche, d’autres formations politiques voient aussi un enjeu de légitimité dans cette réforme. Pour la majorité et ses partenaires, cette réforme fait office de test, après que nombre des leaders des formations politiques du centre et de la droite étaient renouvelés.

Le parti présidentiel, est bien évidemment le premier sous pression. Alors que Stanislas GUERINI a laissé sa place à Stéphane SÉJOURNÉ pour devenir ministre, le député européen, ancien patron du groupe Renaissance au Parlement Européen, va devoir imposer sa ligne : celle d’un soutien sans faille au projet de réforme des retraites, au coeur du programme d’Emmanuel MACRON. Pour Stéphane SÉJOURNÉ, aucune discussion possible, les députés de la majorité ont été élus sur le programme présidentiel, comprenant ce projet de réforme des retraites, dont l’âge de départ a déjà fait l’objet d’un premier assouplissement, 64 ans, contre 65 initialement indiqués dans le programme.

Le problème pour Stéphane SÉJOURNÉ ? Sa légitimité. Le nouveau délégué général du parti, bien que connu de tous les parlementaires, ne jouit pas d’une spectaculaire autorité dans les rangs du parti présidentiel. Intronisé à l’automne dernier au terme d’une élection dont il fut le seul candidat, l’homme a davantage développé ses réseaux européens que son ancrage au Palais Bourbon. De plus, les moyens de pression dont il dispose sont limités : le parti ne peut plus se permettre d’exclure quiconque de ses rangs, au risque d’affaiblir sa déjà très fragile majorité relative, ni même faire miroiter le spectre de 2027, tant le devenir du mouvement semble incertain à cet horizon. Alors pour le nouveau délégué général, la tâche sera ardue, d’autant plus qu’Emmanuel MACRON risque de le tenir responsable de chaque défection de ses troupes.

Mais le leadership du mouvement présidentiel n’est pas le seul à être contesté. A droite, Eric CIOTTI, autre homme clé de ce vote, doit lui aussi sortir les rames. Car pour le nouveau président des Républicains, élu en décembre dernier au terme d’une élection serrée, ce vote a tout l’air d’un premier test. Et comme pour Stéphane SEJOURNE, rien n’est gagné d’avance. Si le député des Alpes-Maritimes a rappelé que les députés LR étaient libres de leur vote, il les a appelé à soutenir le projet du Gouvernement, conforme aux valeurs de la droite et l’idée de l’émancipation par le travail. Invité de Quotidien, il a tenté de jouer la carte de la confiance, comme pour montrer que ses rangs étaient parfaitement tenus.

Mais dans ses rangs, rien n’est plus confus, et parmi ses anciens concurrents, Aurélien PRADIE est bien décidé à jouer les trouble-fête. Déçu de sa nouvelle position dans l’organigramme du parti, le député du Lot s’est dit libre de voter en son âme et conscience le projet, n’obéissant à aucune consigne de vote donnée par Eric CIOTTI. Dans son viseur notamment, la question des carrières longues, sujet sur lequel le député du Lot compte bien se refaire une petite notoriété. Nombreux sont d’ailleurs ses collègues à faire de même. Pour des raisons numériques, les députés LR pourraient retrouver la lumière grâce à cette réforme. En se positionnant sur des points très spécifiques, comme l’a fait Aurélien PRADIE, ils se rendent indispensables aux yeux du Gouvernement et existent plus que jamais politiquement et médiatiquement. Tout laisse à penser que ces derniers iront jusqu’au bout. Ils ont d’ailleurs tout à y gagner : de la visibilité, une image sociale et paradoxalement … rien à y perdre, si le projet ne passe pas, ils pourront toujours se targuer d’avoir milité pour davantage d’avancées sociales plutôt que pour un accord passé par leur chef.

Au fond à droite, le vote pour ou contre le projet de réforme dépendra de plusieurs facteurs : la prise en compte de certains aménagements pour certains, des raisons partisanes pour d’autres. Pour les opposants au leadership d’Eric CIOTTI, rien ne serait plus beau que de voir le député aux ambitions débordantes souffrir de défections en masse. Sa légitimité de chef serait abimée, le leadership du parti contesté et les cartes rebattues à l’intérieur de la famille de droite.

Ainsi la réforme des retraites ne se limite pas au seul texte discuté au Parlement. Les partis politiques, qui y voient notamment un sujet pour faire parler d’eux, comptent bien jouer les trouble-fête. L’examen du texte en séance plénière, qui commence cette semaine, devrait permettre d’y voir plus clair sur les ambitions de chacun.