Les deux candidats arrivés en tête du premier tour bénéficient toujours d’intentions de vote très serrées.

Un premier tour plus surprenant que prévu

Les derniers jours de la campagne avaient été brouillons, laissant planer le doute sur l’issue de ce premier tour. Quelle dynamique Jean-Luc Mélenchon ? Recul ou percée d’Emmanuel Macron ? Quid des scores d’Eric Zemmour et Valérie Pécresse ?

Dimanche soir le premier tour a donc surpris. A gauche d’abord, Jean-Luc Mélenchon a raflé les voix de la gauche en se plaçant avec 22% en 3e position de ce scrutin. L’insoumis a asphyxié ses concurrents de gauche dans les derniers jours de campagne et est parvenu à incarner le vote utile, une prouesse pour un candidat jusqu’alors toujours perçu comme clivant, car extrême. Exit donc le Parti Socialiste et la candidature d’Anne Hidaldgo, relégués en-dessous des 2% des voix, derrière Jean Lassalle. Exit aussi les écologistes, autour de 4%, pourtant promis à une bel avenir après leurs multiples conquêtes aux dernières municipales.

Mais si la gauche a semblé asphyxiée dimanche soir, la droite n’était pas pour autant en reste. En ne réunissant même pas 5% des voix, Valérie Pécresse subit le même sort que celui du PS en 2017, et acte la mort de son parti politique, fatigué par une campagne en manque de panache. Eric Zemmour, grand inconnu de cette campagne, longtemps présenté comme le plus grand des dangers de cette élection, passe tout juste la barre des 7%. Un échec pour le polémiste longtemps promis au second tour, et la preuve définitive de la bulle médiatique qui l’entourait.

Au final, les résultats de ce premier tour placent en tête le même duel qu’en 2017 : Marine Le Pen face à Emmanuel Macron, une affiche dont on a longtemps laissé entendre que les français ne souhaitaient pas voir renouvelée. Et pourtant, la revoilà.

Emmanuel Macron réussit une belle performance en se plaçant en tête des suffrages avec 27,85% des voix, soit 4 points plus haut qu’en 2017, un score honorable pour un ancien Président. L’équipe Macron est aussi rassurée de ne pas avoir dévissé dans les derniers jours de la campagne, dont les sondages annonçaient un résultat au coude à coude avec Marine Le Pen.

Au final, la candidate du Front National arrive quant à elle en deuxième position, avec 23,15% des suffrages. Elle maintient sa place de challenger et confirme la remontée qu’elle a opéré ces dernières semaines dans les sondages. Elle se trouve tout de même à 4 points d’écart avec le Président-sortant.

Macron en tête, mais rien n’est joué

Le Président-candidat, pointé du doigt pour ne pas avoir suffisamment fait campagne avant le premier tour, est certes arrivé en tête dimanche, mais pour lui, rien n’est encore gagné. Car si la Présidentielle de 2017 n’avait laissé quasiment aucun doute quant à l’issue du scrutin, celle de cette année est bien plus hasardeuse.

En cause ? Plusieurs facteurs.

L’affaissement du Front Républicain d’abord. L’idée qu’il fallait faire barrage à l’extrême droite en toute situation ne vaut plus. Les Français l’ont réalisée en 2002, péniblement imitée en 2017, mais il semble que ce concept ne soit même plus une option pour 2022. Les sondages annoncent en cette fin de semaine un second tour très serré. Marine Le Pen a perdu quelques points dans les sondages, et Emmanuel Macron en a regagné quelques uns, mais les pronostics donnent toujours l’extrême droite à 46%, et La République en Marche à 54%. Des prévisions serrées lorsque la marge d’erreur tourne autour des 3%.

Outre l’idée du ras-le-bol du concept du Front Républicain, c’est le comportement des électeurs mélenchonnistes qui met en balance cette élection. Le Président sortant craint en effet qu’une majorité d’entre eux s’abstiennent ou votent blanc, mais plus grave encore : qu’une partie d’entre eux partent chez Marine Le Pen. La dernière enquête en date fait état d’un report de près de XX% des voix insoumises sur la candidature d’extrême droite.

Alors pour Emmanuel Macron, après avoir dynamité Les Républicains et s’être assuré des voix de la droite républicaine après l’échec de Valérie Pécresse, un objectif : aller chercher les électeurs de gauche et  enrichir les volets sociaux et environnementaux de son programme. Car ce sont les deux thématiques qui font douter la gauche de se mobiliser à nouveau en faveur d’Emmanuel Macron.

Lundi matin première heure, le Président sortant filait donc dans les Hauts-de-France faire campagne à Denain, l’une des plus villes les plus pauvres de France, sur les terres où le Rassemblement National a fait d’excellents scores. Pour le candidat, plusieurs idées en tête : finir de ré-installer le duel face à Marine Le Pen en s’invitant sur ses terres, et tenter de convaincre en parallèle les Français qu’il est le véritable candidat du pouvoir d’achat. Car Emmanuel Macron sait que si ces territoires ont largement voté pour Marine Le Pen, ça n’est pas en priorité pour ses prises de positions nationalistes et son combat identitaire, mais pour le discours proactif qu’elle a porté tout au long de cette campagne sur le pouvoir d’achat des français.

Toute la semaine, Emmanuel Macron a donc confronté son projet aux français, présents en nombre à chacun de ses déplacements. L’équipe de campagne souhaitait mettre en scène un candidat à portée d’engueulades et les scènes en ce sens ce sont ainsi multipliées tout au long de la semaine. Sur les retraites, sur la vaccination, sur ses propositions sur le conditionnement du RSA à des heures d’activité, comme sur ses petites phrases, les interpellations n’ont pas manqué. Emmanuel Macron a tout fait pour se justifier, tant bien que mal, tenter de convaincre encore, mais s’est surtout montré prêt à débattre, et sur le terrain.

Apparaitre sur le terrain, c’est fait. La case est cochée. Le Président-candidat était partout : Denain, Strasbourg, Marseille, ... Mais depuis dimanche le Président sortant est attendu sur un autre terrain : celui de la gauche. Plus particulièrement celui de l’écologie. Le candidat le sait, l’écologie est une grande partie de ce qui a poussé l’électorat à se mobiliser en faveur de la candidature de Jean-Luc Mélenchon. S’il veut avoir une chance de gagner le second tour, et bénéficier d’une partie du report de voix des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, le candidat devait entreprendre un virage à gauche toute sur ce sujet-là. Toute la semaine, les appels du pied avaient été nombreux, mais timides, annonçant être prêt à retravailler son programme écologique, conscients de ses faillites, sans vraiment prendre d’engagement important à ce sujet.

Mais l’équipe du Président sortant a mis fin à cette réflexion avec le meeting de l’entre deux tours de ce weekend, organisé dans le parc du Pharo, à Marseille. Le candidat y a réuni environ 3000 personnes, un nombre modeste, en plein air, en plein soleil, avec un fond partagé entre le Vieux Port et la Bonne Mère. C’est là, à deux pas de la Mer Méditerranée, qu’Emmanuel Macron a marqué son tournant vert. Tout son discours était d’ailleurs orienté autour de l’écologie. Conscient de la pression imposée par le vote insoumis, comme le contexte environnemental, largement renforcé dernièrement par le nouveau rapport du GIEC, le Président-candidat a multiplié les annonces.

Dans son discours, Emmanuel Macron amorce son virage après avoir été interpellé par la foule.

Pour Emmanuel Macron, ce quinquennat ne doit pas être l’occasion de tout refaire pareil. Le Président le relève à plusieurs reprises, cette élection ne doit pas être un renouvellement, mais plutôt un référendum qui amenderait son projet de 2017. Les suffrages de dimanche dernier exigent que celui de 2022 soit plus écologique, plus social. Qu’il en soit ainsi leur a répondu Emmanuel Macron, expliquant vouloir placer l’écologie “au coeur du nouveau paradigme politique” qu’il entend concevoir au travers de ce second mandat.

Ce nouveau paradigme, entend placer l’écologie comme la clé de voute de fonctionnement de ce nouveau modèle, comme une règle plus importante encore, et fixe ainsi des objectifs ambitieux.

Tout le discours de ce samedi traduit donc de la prise de conscience par le Président sortant de la signification du vote Mélenchon. L’extrême-gauche si haut était un signal fort envers l’écologie, et si Macron veut rassembler, alors il doit reprendre à son compte des valeurs incarnées par d’autres. Le candidat a donc joué tout ce weekend de ce nouvel angle d’attaque, allant même jusqu’à mentionner à plusieurs reprises le nom du programme de Jean-Luc Mélenchon, l’avenir en commun, comme un énième appel du pied à la base de l’insoumis.

Enfin, alors que les blocages étudiants, conduits devant la Sorbonne, Sciences Po, et d’autres universités en France ont agité la toile cette semaine, Emmanuel Macron a adressé un message aux français qui disent ne pas vouloir de ce second tour voire même ne pas parvenir à choisir entre la peste et le choléra qu’incarnerait cette affiche.

Dans sa dernière ligne droite, Emmanuel Macron vire donc à gauche. Après avoir timidement fait campagne sur ses acquis et largement confirmé son assise électorale sur le centre droit, il tente de renouer avec la social-démocratie en allant chasser sur les thématiques de gauche. Cinq ans après sa promesse de dépassement, Emmanuel Macron tente de montrer que le pouvoir ne lui a rien enlevé de sa volonté de disruption.

Marine Le Pen et sa maladroite présidentialisation

De l’autre côté, le bon score de Marine Le Pen, a rivale, dimanche dernier, arrivée 2e de ce premier tour, mais surtout les bons sondages pour le second tour ont fait émerger aux yeux de ses équipes deux impératifs.

Le premier, comme pour Emmanuel Macron, ratisser large, au-delà de sa réserve de voix de droite. Dès son discours de dimanche soir, Marine Le Pen est allée chercher les électeurs de gauche. La candidate du Rassemblement National a repris la sémantique de Jean-Luc Mélenchon pour tenter de rallier à son camp les plus précaires, mais surtout les plus hostiles à Emmanuel Macron. Outre les valeurs du social, Marine Le Pen mettait en avant le féminisme dans ses premiers mots, comme un appel du pied à la gauche radicale. Marine Le Pen joue avec le nuancier et tente de transformer le rouge foncé en brun.

Mais la candidate semble s’être perdue dans la semaine sur son second objectif : mettre en scène sa prédisentialisation. Après avoir récolté les palmes d’honneur pour sa bonne première partie de campagne, il restait une dernière étape pour la candidate d’extrême droite : affirmer sa présidentialité pour gagner la crédibilité qui lui manquait jusqu’alors pour remporter le second tour. Alors, à plusieurs reprises cette semaine, Marine Le Pen a multiplié les références au protocole officiel.

Sa nouvelle affiche de campagne d’abord, reprend tous les codes d’un portrait officiel : bureau classique, fond sobre, position formelle. Mais cette mise en scène reprend surtout les codes du portrait officiel d’Emmanuel Macron, comme pour montrer qu’il était remplaçable par le vote des Français.

La candidate a ensuite enchainé les conférences de presse, avec les médias français d’abord, puis les médias étrangers, comme pour se préparer à parler au monde. Mais ces sorties ont fait d’emblée l’objet d’accrochages. Dans sa conférence de presse française, Marine Le Pen s’est égarée en déclarant ne pas exclure de poser aux français par référendum la question du rétablissement de la peine de mort.

Outre ce sujet, on ne peut plus sensible alors que la France a été pionnière en la matière, ses projets de modification de la Constitution sont apparus imprécis. Mais plus grave, la candidate a semblé s’égarer lorsqu’interrogée sur le choix des journalistes présents. Marine Le Pen refuse depuis des années l’accès de tous ses évènements aux équipes de Quotidien, pourtant regardée tous les soirs par près de 2 millions de Français. Interrogée, la candidate s’est trouvée prise au piège de la question d’un journaliste de Libération, et a tenu des propos quelques peu déconcertants quant au sort de la presse en cas de victoire de sa part.

Dans les jours qui suivent, alors que Marine Le Pen tient sa conférence de presse internationale, une seule image sera retenue par les médias : l’évacuation d’une militante ayant brandi une photo d’elle et Vladimir Poutine. Violemment trainée au sol afin de l’évacuer de la salle, cette image désastreuse a coupé court à toutes les tentatives de normalisation entreprises par ses équipes ces dernières semaines. Cette violence physique, et plus généralement ces affronts à la liberté de la presse renvoient une image dangereuse du parti et de ses dirigeants, susceptibles de détourner ses potentiels électeurs, notamment les potentiels transfuges) de gauche.

Sur le terrain, Marine Le Pen s’est aussi trouvée confrontée à plusieurs problématiques.

D’abord, dès lundi matin, la candidate s’est faite doublée par son rival, Emmanuel Macron, alors que ce dernier partait à la première heure chasser sur les terres du RN, pendant que Marine Le Pen tenait une conférence à son QG.

Toute la semaine durant, la candidate a multiplié les déplacements, mais n’est pas parvenue à imprimer une nouvelle dynamique. Le basculement dans la campagne du second tour ne s’est pas traduit par un changement de cap. Sa campagne a même souffert de plusieurs coups durs.

Invité de C à Vous cette semaine, Louis Alliot, actuel Maire de Perpignan, vice-président du RN et ex-conjoint de Marine Le Pen, a eu du mal à justifier de la viabilité du projet de réforme des retraites de Marine Le Pen. Un coup dur pour la campagne de la candidate, qui sait devoir capitaliser sur sa différence avec Emmanuel Macron sur ce sujet, tant il est sujet à controverses.

Dans le même temps, dans son camp, les soucis se sont accumulés dans cet entre-deux-tours. D’abord, le retrait de la campagne de Robert Ménard, Maire RN de Béziers, très critique sur la stratégie de Marine Le Pen cette semaine. Et ce samedi, à seulement une semaine du second tour, avec les nouvelles révélations de Médiapart concernant un détournement de fonds public à hauteur de 137 000€ dans le cadre des fonctions des députés européens RN. Nouvel affront pour la candidate, lorsque la justice annonçait se saisir de l’affaire dans la journée. Le paradoxe fait mal : comment promettre de rendre leur argent aux français, lorsque la justice accuse les dirigeants de son parti de détourner des sommes à six chiffres ?

Pour Marine Le Pen : une seule possibilité désormais pour faire ses preuves face au procès en incompétence qui lui est fait : gagner le débat de mercredi soir. La candidate sait que ce rendez-vous sera décisif. Après son raté de 2017, ses équipes savent que cette émission peut être la marche qui la fera trébucher de la route du pouvoir. Alors, interrogée sur son état d’esprit, Marine Le Pen est apparue grave, consciente de la préparation requise pour remporter la manche.

A une semaine du premier tour, rien n’est encore joué. Emmanuel Macron semble certes reprendre un peu d’avance ce weekend, mais les 6 jours de campagne peuvent encore tout faire basculer avec un pronostic à 46/54. Les prochains jours de campagne, et le débat de mercredi soir seront décisifs. 6 jours projet contre projet, 6 jours pour rallier, 6 pour intéresser, 6 jours pour pousser les français à choisir entre deux visions de la France, qui nous engageront pour les 5 prochaines années.