Mais pourtant cette semaine, rien ne s’est passé comme prévu. La décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine jeudi au petit matin a pris tout le monde de court.

Dans ces conditions, comment faire campagne ?

C’est la question de cette semaine. Comment continuer à faire campagne alors qu’une situation sans précédent depuis 1945 s’abat sur l’Europe. Comment continuer à regarder notre nombril français, s’écharper sur des polémiques de bas étages alors qu’à seulement un gros millier de kilomètres de notre territoire, des civils sont l’objet de l’offensive militaire surprise d’un dictateur ?

Impossible. Cette semaine a marqué le tournant d’une campagne déjà particulièrement mal implantée dans l’opinion à celle d’une campagne impossible.

Plus aucun candidat ne se trouve légitime à mobiliser l’attention médiatique sur la situation française. Tout le monde, de gauche à droite, y compris les extrêmes a été contraint de ne parler globalement que de l’Ukraine. Et dans un temps où la guerre menace l’Europe entière, au-delà même du sort tragique de l’Ukraine, difficile de se distinguer. Les affaires étrangères en général ne se prêtent pas vraiment au débat politique, mais la situation actuelle, inédite et particulièrement imprévisible laisse tout les candidats à la présidentielle sur le carreau.

Critiquer le Président de la République et ses efforts diplomatiques fournis ces dernières semaines ? Ou refuser la polémique au nom de l'unité nationale ? C’est la question que se sont posé de nombreux candidats cette semaine.

La tentation est forte pourtant. A une quarantaine de jours du premier tour, se faire entendre une fois de plus est vu par certains comme une formidable opportunité. Mais encore faut-il avoir quelque chose à dire, quelque chose de crédible à proposer. Dans ces temps complexes, les candidats auraient tout intérêt à jouer la sobriété.

Pour certains candidats, l’attaque de Poutine est une grosse épine dans le pied

Vladimir Poutine, enfin reconnu cette semaine à son juste titre de dictateur par la diplomatie française, ne compte pas que des ennemis parmi les candidats à la présidentielle. Problème pour ceux qui concourent à cette élection. Avoir affiché une proximité avec un autocrate qui vient d’engager une guerre sur un pays souverain et démocratique ne fait pas vraiment bonne impression.

Premier à être pointé du doigt : Eric Zemmour. Le polémiste avait depuis de longues années vanté les mérites du Président Russe. Notamment pour son ambition ainsi que la reconnaissance pour la vision et le regard intelligent qu’il porte sur l’histoire de la Russie. Dans les derniers mois, Eric Zemmour avait même évoqué plusieurs fois le sujet, dans des déclarations qui apparaissent gênantes. Après avoir déclaré qu’il rêvait d’un “Poutine français”, Eric Zemmour avait déclaré dans Elysée 2022, l’émission politique de France 2 consacrée à la campagne présidentielle, prendre les paris que “la Russie n’envahira pas l’Ukraine”. Du coup pour les paris ça semble raté. Mais plus grave encore, ces déclarations, largement relayées par les opposants au polémiste, entachent sa crédibilité en matières d’affaires étrangères. L’écrivain aux larges connaissances historiques n’a pas sûr lire le jeu de Poutine.

Autre personnage gêné dans cette crise, c’est, à l’opposé du spectre politique : Jean-Luc Mélenchon. Le candidat de la France Insoumise avait plusieurs fois souligné sa volonté de faire disparaitre l’OTAN . Interrogé sur sa proximité avec les idées du Kremlin, le chef des Insoumis s’est empressé de plaider le contraire dans une interview en duplex depuis la Guadeloupe. Jean-Luc Mélenchon s’est montré sur la défensive, presque agressif lorsqu’il a dû revenir sur ses propos.

Pour Marine Le Pen, cette invasion de l’Ukraine n’est pas vraiment non plus une bonne nouvelle. La candidate du Rassemblement National s’est affichée à plusieurs reprises ces dernières années aux côtés du Président russe. Elle avait sollicité à plusieurs reprises des rencontres avec ce dernier, et a bénéficié d’emprunts auprès de banques russes pour financer ses précédentes campagnes électorales. Pas vraiment bonne image là non plus.

Emmanuel Macron pris au piège de sa casquette présidentielle

Le Président de la République, on l’a dit, devait se déclarer candidat ces jours-ci. Ses équipes travaillaient depuis des semaines à ce lancement tardif de la campagne officielle.

Mais comment annoncer raisonnablement son entrée en campagne alors que la guerre menace l’Europe ? Exercice difficile, voire là encore, impossible. Exit la proposition évoquée d’une officialisation au Salon de l’Agriculture. Exit aussi l’idée d’une déclaration dans la semaine. Exit encore, le premier grand meeting de campagne prévu pour le weekend du 5 mars. Impossible pour le Président de la République d’apparaître concentré sur son propre sort alors que la situation militaire évolue toutes les heures en Ukraine.

Le scénario le plus probable est celui d’une annonce la plus simple possible. Peut-être même un simple communiqué confirmant que le Président est candidat au renouvellement de son mandat, mais ne peut se consacrer à la campagne électorale compte-tenu de la situation actuelle. Tout laisse penser que cette annonce pourrait intervenir dans la semaine. Les dernières indiscrétions laissaient d’ailleurs entendre que Julien Denormandie, actuel ministre de l’Agriculture, devrait démissionner dans la semaine pour assumer pleinement le rôle de directeur de la campagne d’Emmanuel Macron. S’il y a un directeur, c’est donc qu'il y a campagne, et par conséquent la candidature va être officialisée.

Au sein du parti, les soutiens du Président de la République s’inquiètent. Comment faire campagne dans cette dernière ligne droite sans l’activisme de leur candidat ? Certains y voient un danger, une grosse difficulté. Pour l’heure, les premiers grands rendez-vous de la campagne devraient être assurés par des proches d’Emmanuel Macron, des voix de poids de la majorité. Christophe Castaner, Edouard Philippe, François Patriat ou encore François Bayrou sont pressentis pour animer des réunions publiques visant à soutenir le chef de l’Etat.

Bien que la situation soit inédite, elle n’est d’ailleurs peut-être pas si mauvaise pour Emmanuel Macron. En temps de crise, dans une situation dominée par les incertitudes, les électeurs sont moins enclins à changer de leader. Tout simplement parce que dans ces moments la stabilité permet de ne pas rajouter davantage d’anxiété. De plus, l’activisme du Président de la République dans la résolution de ce conflit armé pourrait être valorisé par les électeurs. Une crise supplémentaire pour Emmanuel Macron, qui devrait renforcer l’idée d’un Président robuste face aux chocs. En réalité, c'est la situation en Ukraine qui pourrait faire campagne pour Emmanuel Macron. Illustrer l'engagement du Président, démontrer sa crédibilité sur la scène internationale.

Pécresse en situation de détresse

Nous l’annoncions déjà la semaine dernière. La candidature de Valérie Pécresse, pourtant propulsée après le vote des militants LR, se trouve en situation de décrochage dans les sondages. Certaines enquêtes la donnent cette semaine autour du score de Jean-Luc Mélenchon (11-12%). Après un meeting catastrophique il y a deux semaines, les soutiens et la dynamique de sa campagne se sont trouvés affaiblis.

Première épine dans le pied de la semaine pour Valérie Pécresse et pas des moindres : le vote des militants LR au congrès de décembre. Libération révèle cette semaine dans un article que le vote des adhérents a pris en compte de nombreux faux : dont des participations d’animaux et de personnes décédées. Une histoire non sans rappeler les pages du roman de l’ancien Premier Ministre Edouard Philippe et son ami député européen Gilles Boyer, qui décrivaient un vote de primaire truqué dans leur roman Dans l’ombre. L’affaire, qui est passée au second plan avec l’irruption de la guerre en Ukraine, porte un coup supplémentaire à la crédibilité de Valérie Pécresse.

Enfin, cette semaine, alors que la France comme l’Europe assistait stupéfaite à l’offensive russe sur l’Ukraine, Valérie Pécresse se trouvait confrontée à un nouveau problème, tout droit revenu d’entre les morts de la précédente élection présidentielle. François Fillon, alors candidat de la droite avait plombé le score des Républicains après qu’aient été révélées de lourdes affaires le concernant, dont l’emploi fictif de sa femme comme collaboratrice parlementaire pendant de longues années. Après 5 ans hors des radars, ce même François Fillon refaisait surface cette semaine. Non pas pour venir en soutien à la candidate de son camp, mais une fois de plus, porter préjudice à sa famille politique. A la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, François Fillon a d’abord fait profil bas. Alors que nombreux étaient les étrangers à démissionner de leurs positions russes, François Fillon, qui siège au Conseil d’Administration de plusieurs compagnies privées proches du pouvoir russe, ne comptait pas remettre sa démission. Il a même publié un communiqué, lunaire, sur la situation. Enfin, alors que la polémique enflait en France du côté des Républicains, François Fillon annonçait finalement qu’il démissionnait de ses mandats. Dimanche, il donnait une interview au JDD dans laquelle il fait son mea-culpa.

Bref la campagne de Valérie Pécresse traine voire décline au fil des semaines. On est loin de la dynamique d'après Congrès, et de plus en plus loin du second tour.

La semaine prochaine verra la course aux parrainages prendre définitivement fin. La liste des candidats devrait à cette occasion, être définitivement bouclée.